La pierre aux Fées
La Pierre aux fées
Dans une plaine, à deux kilomètres de Reignier, vers le hameau de Saint Ange,
un dolmen élève sa masse imposante sur la lisière d'un bois de chênes.
Les campagnards l'appellent Pierre des morts ou Pierre aux fées;
c est sous ce dernier nom qu'il est inscrit sur les cartes.
Les Fées qui interviennent souvent dans les légendes savoisiennes,
passent pour en avoir apporte les matériaux sur leur tète Certains conteurs,
habitués à mettre les points sur les i, précisent davantage, et croient pouvoir
assurer qu'une seule fée s'est chargée de la besogne,
posant sur sa tête la plus grande pierre,
en plaçant deux autres sous les bras, et mettant la dernière dans son tablier,
fabriqué, à ce qu'il parait, avec une étoffe très résistante.
Le monument est composé d'une table de ce granité
particulier du Mont Blanc nommé protogine,
longue de 4,90 m et large de 4,50 m sur un mètre d'épaisseur,
supportée par trois larges dalles,
amincies à l'arête supérieure et entrant dans les rainures qui existent sous le plafond.
Ces dernières sont le produit d'un travail exécuté à force de patience,
à une époque où l'on ne se préoccupait guère de la formule time is money.
Les constructeurs ont pratiqué sous la table, au moyen du martelage ou piquage,
deux longues rainures parallèles, profondes de 3 à 7 centimètres, larges de 40 à 50 ;
et une troisième, large de 30 centimètres,
coupant les deux autres à angle droit sur la face orientale
Le côté opposé n'a pas de rainure, et son petit support est resté à l'état brut.
Les grandes surfaces planes des supports latéraux indiquent un équarrissage ;
en outre, ils ont intérieurement une rainure verticale correspondant à celle de la table,
et destinée à recevoir une grande dalle qui a disparu ou n'a pas été placée :
peut-être devait-on tailler les deux blocs irréguliers qui gisent
à pied d’œuvre. Les supports latéraux ont la partie supérieure arrondie,
et le travail humain est surtout visible dans celui du nord ;
mais par suite d'un mouvement survenu pendant ou après la construction,
ils ont perdu leur parallélisme et ne s'emboîtent pas exactement dans les rainures de la table.
A l’angle interne le support du nord présente
une profonde creusure verticale destinée à enchâsser la dalle,
aujourd’hui disparue qui le reliait au pilier postérieur.
L’ouverture du côté opposé peut avoir été murée avec les deux petits blocs couchés à l'intérieur.
Le caveau, hermétiquement fermé, aurait eu environ 2,50 m de coté sur 1,50 m de hauteur.
(haut)
A la face ouest aboutit une double rangée de pierres plates, s'élevant très peu au-dessus du sol,
et paraissant être la base d'une allée d'accès. Cette allée a huit mètres en longueur six mètres
à la partie maximum de la largeur externe ; elle est coupée
par un sentier qui borde un champs situé en contrebas.
Les personnes qui ont une foi inébranlable dans l'emploi
des dolmens pour les sacrifices druidiques
ne manquent pas de signaler une rigole existant le long de la face
orientale de la table, au point culminant ;
cette dépression toute naturelle doit avoir rempli l'office
de caniveau pour recueillir des ruisseaux de sang humain...
Nous sommes en présence d'un monument des plus importants
au point de vue de l'étude des dolmens.
Nous voila réellement à même de soutenir les idées nouvelles contre les anciennes théories.
Tout d'abord on a rangé les dolmens parmi les monuments en pierres complètement brutes.
Celui de Reignier nous montre que si cette appréciation est vraie dans son ensemble,
il ne faut pas trop la généraliser. Nous voyons là comme on l'a déjà constaté dans d'autres localités,
un travail d'équarrissage très net, qui prouve que les constructeurs savaient approprier
les matériaux aux besoins de leur construction. Mais il y a plus :
le dolmen de Reignier présente la pierre taillée
dans le but de joindre plus intimement les dalles entre elles.
C'est là le fait le plus intéressant, le plus nouveau ;
d'autant plus intéressant que la roche, la protogine, est fort dure.
C'est même grâce à cette dureté que les entailles sont parvenues à nous avec toute leur netteté et,
pourrions-nous dire, toute leur fraîcheur.
Un autre grand mérite du dolmen de Reignier, c'est de nous montrer que les fameuses rigoles des tables,
rigoles qui, disait-on étaient destinées à laisser couler le sang des victimes,
ne sont que les produits fortuits des actions atmosphériques.
Ici on peut les comparer aux rainures d'un travail réellement humain;
il ne saurait plus y avoir de doutes.
Des explorations ont été entreprises depuis longtemps : déjà, en 1843,
aucun objet n'avait apparu dans les recherches faites à l'intérieur par M. Gosse
et par M. de Magny, propriétaires du monument. J'ai pratiqué dans l’allée des fouilles
sans résultat, comme il fallait s'y attendre.
Dans les champs voisins on a trouve plusieurs instruments en bronze,
surtout des haches ; ils seront énumérés avec les objets divers de l'âge de bronze,
mais ils n’ont aucune relation apparente avec le sujet de cette étude.
La légende Medievale
Le chevalier Aymon de Bellecombe avait sollicité la main d'Alice, fille de l'un de ses voisins,
le baron du Chatelet. Ce dernier, sans repousser positivement la demande,
met à son consentement une singulière condition. Avant le lever de l'aurore
le prétendant devait transporter dans la plaine quatre de ces grosses pierres
que l'on distinguait parfaitement du manoir du Chatelet ;
il fallait de plus que de ces pierres il fit une table destinée au festin nuptial.
On comprend que la tâche imposée pouvait équivaloir à un refus déguisé. Aussi,
le sire du Chatelet s'applaudissait-il en son for intérieur d'avoir infligé une sorte d'humiliation
à Aymon de Bellecombe en lui montrant qu'il avait porté bien haut
ses vues téméraires ; qu'il avait outrecuidance à lui, brave gentilhomme, mais pauvre,
d'aspirer à une telle alliance et de prétendre
à la main d'une jeune fille de haute naissance et de beauté renommée.
En conséquence, le baron du Chatelet s'endormit dans la conviction que le chevalier
ne s'aventurerait plus à de nouvelles tentatives et ne franchirait
plus le seuil du manoir où il avait essuyé un pareil échec.
Mais qui fut trompé ? Le jour n'avait pas encore paru, que, grâce à l'intermédiaire
d'une fée bienfaisante, les pierres étaient à la place indiquée, et la table dressée.
Pris dans ses propres filets, le fier seigneur du Chatelet,
obligé de tenir sa parole, dut accorder la main d'Alice à l'heureux chevalier de Bellecombe.